mercredi 25 novembre 2009

114) Lire au lit

Van Hove exécute, en ce moment, une série de tableaux sur le thème “Lire au lit”. Comme seul décor, un fond blanc : blanc comme un drap de lit ou comme une toile encollée encore vierge. Sa maîtrise du dessin de la figure humaine, caractéristique de sa peinture, s’y exprime avec une force et une douceur particulières.
Exemple :Autre exemple :Dans ce deuxième tableau, le livre représenté à droite a pour titre Enseignement collectif du dessin par démonstrations orales et graphiques. Guide de la nouvelle méthode de Frédéric Gillet, Professeur à l’école municipale de la Ville de Genève. Publié en MDCCCLXIX (1869) à Paris. Livre choisi non pour son contenu, mais seulement pour sa taille, ses proportions et la couleur de son papier.
J'y jette quand même un coup d’oeil, et je lis, page 33 :

Du paysage
Le dessin de paysage, malgré la diversité infinie de ses lignes et de ses effets de clair-obscur, présente de moins grandes difficultés que celui de la figure, en ce qu’il laisse à l’artiste une somme relativement plus grande de liberté. Le type humain est un admirable résumé de l’universalité des êtres créés auxquels il est supérieur, parce qu’entre tous aucun ne réalise comme lui les conditions de l’ordre, de la proportion et de l’harmonie, élevées à la hauteur de la vie animale, de la vie intelligente. C’est pourquoi, même sans parler des difficultés que présente le rendu expressif de la vie, le dessin de la figure humaine est de tous les genres de dessin le plus difficile.

Je relis à haute voix et je demande au peintre si elle est d’accord.
- Bien sûr.
1869 : la révolution de la photographie est en cours et celle du mouvement impressionniste est sur le point de se déclencher et d'aggraver encore la situation de la peinture figurative dont les jours vont sembler comptés à un nombre croissant d'artistes et de critiques.
L’impressionnisme ? Voyons ce qu’en dit Paul Valéry dans son admirable livre Degas Danse Dessin, chapitre Réflexions sur le paysage et bien d’autres choses :

Puis l’impression l’emporte : Matière ou Lumière dominent.
On observe alors que le domaine de la peinture est envahi en quelques années par les images d’un monde sans hommes. La mer, la forêt, les campagnes à l’état désert satisfont la plupart des yeux. Il s’ensuit quantité de conséquences remarquables.
L’arbre et les terrains nous étant beaucoup moins familiers que les animaux, l’arbitraire augmente dans l’art, les simplifications, même grossières, se font habituelles. Nous serions choqués si l’on figurait une jambe ou un bras comme l’on fait une branche. Nous distinguons fort mal entre le possible et l’impossible en fait de formes minérales ou végétales. Le paysage donne donc de grandes
facilités. Tout le monde se mit à peindre.

Remarque conclusive : aujourd’hui, 70 ans après la publication de Degas Danse Dessin, plus personne ne s’étonne qu’une jambe ou un bras soit figuré "comme l’on fait une branche"; on s’étonnerait plutôt que des peintres continuent de dessiner comme avant.

Let's try to say it in english now :

These days, Francine Van Hove is doing a series of paintings on the theme “Reading in bed”. The backgroung has the color of a sheet or a blank canvas (white). Van Hove's mastering of drawing the human figure can then be expressed with a particular strength and softness.
In the second painting, the book is titled “Collective Teaching of Drawing through Oral and Graphic Demonstrations. Guide to Frédéric Gillet’s New Method". Published in MDCCCLXIX (1869) in Paris.
Although the book has not been picked for its content, but only for its look, I glance at it and read, page 33:


About landscape
Landscape drawing has to deal with an infinite variety of lines and clair-obscur effects. However it is way less difficult than the human figure drawing since it leaves relatively more freedom to the artist. The human figure is an amazing summary of all kinds of living beings. It is the most superior figure between all as it is the only one to embody so well the wonders of creation in terms of order, proportion and harmony. It is why, to say nothing of the rendering of life, the human figure drawing is the most difficult among all the different sorts of drawings.

I read it again in a loud voice and ask Van Hove :
- Do you agree?
- Of course.
1869, the revolution of photography is in progress. Impressionnism is starting soon its own revolution. The result is a critical moment for figurative art and figurative artists whose future seems to be condemned.
Impresssionism? Let see what Paul Valéry says about it in his marvellous little book "Degas Dance Drawing", chapter "Reflections on Landscape Drawing and a Lot More Items" :


Then impression wins out : Matter and Light dominate. One observes the domain of painting being invaded by images of a depopulated world in a few years. Most of the eyes get accustomed and satisfied with deserted oceans, forests and countrysides. Hence many remarkable consequences.
As we are less familiar with trees and lands than with animals, arbitrariness increases in art, simplifications, even coarse, become usual. We would be shocked if legs and arms were drawn as branches. We can hardly make the difference between the possible and the impossible in the mineral or vegetal reign. As a matter of fact the landscape offers large facilities. Everybody feels qualified to do painting.

Final remark: nowadays, 70 years after "Degas Dance Drawing", nobody would be shocked by legs or arms transformed into branches; one would rather wonder that painters drawing legs and arms looking like legs and arms still exist.

3 commentaires:

sejan a dit…

Très intéressant (Valéry)
Très beau l'exemple 1.

Nathalie a dit…

Que j'aimerais voir ces tableaux ci! Les tons blanc sur blanc me fascinent depuis des lustres. Une serie qui s'annonce magnifique encore!

ultra pink noise a dit…

Madame, vos peintures sont ravissantes, saisissantes de réalisme, merveilleuses, paisibles.

Je vous découvre avec émerveillement, l'évolution de votre travail est sublime, j'adore vos œuvres tout simplement.