mercredi 19 janvier 2011

126) Chère Claude,

Je te remercie de ton petit mot.
Tu as raison. La prochaine exposition de Francine Van Hove est proche, puisque le vernissage est pour le jeudi 24 mars 2011, et on peut ne pas comprendre pourquoi je me tais depuis le 19 novembre 2010.
La vérité est que je ne sais qu’ajouter à ce que j’ai déjà écrit sur l'artiste et sur son oeuvre. Car j’ai déjà beaucoup écrit, la preuve : les 125 messages de ce blog, maintenant 126.
Bien sûr, je pourrais montrer des photos des tableaux qui vont être exposés pour la première fois en mars prochain. Il y en aura 17. Mais ce serait déflorer le vernissage et desservir à la fois la Galerie Alain Blondel et l’artiste.
Il y a aussi que je suis de plus en plus conscient que la peinture de Van Hove est de celles qui demandent à ce qu’on les regarde en silence, que tout ce qu’on peut écrire à leur sujet ressortit du bavardage mondain. Van Hove fait partie des gens qui «peignent sans phrases» des tableaux muets.
«Y a qu’à r’garder».
Chuuuuut !
Même chose qu’avec Renoir : Silence ! On regarde.
J’évoque Renoir parce que je suis en train de relire ce que son fils Jean (le cinéaste) a écrit sur lui et que ses réflexions me semblent aller comme un gant à Van Hove.
Je cite :
«... Mes modèles à moi ne pensent pas», disait Renoir.
«Il aimait parler aux modèles et il aimait qu’ils lui parlent. Il voulait que le conversation fût banale. C’est pourquoi il appréciait les chansons de Georgette Pigeot. Il tenait absolument à amener son sujet à se fondre dans une futilité d’esprit proche de l’éternité. il le voulait détendu d’esprit autant que de corps. Leur don de sérénité est peut-être une raison supplémentaire à son plaisir de peindre des femmes et des enfants. «Les hommes sont tendus, ils pensent trop !» Les préoccupations profondes, dramatiques, passionnées, croyait-il, marquent le visage et le corps du sceau du provisoire. Or, selon lui, l’art ne s’applique qu’à l’éternel.»
«Il parlait de l’état de grâce venant de la contemplation de la plus belle création de Dieu, le corps humain». Il ajoutait : «Et pour mon goût personnel, le corps féminin !»
«Il se méfiait de l’imagination. Il la considérait comme une forme de l’orgueil. «Il faut une sacrée dose de vanité pour croire que ce qui sort de notre seul cerveau vaut mieux que ce que nous voyons autour de nous. Avec l’imagination on ne va pas loin tandis que le monde est si vaste. On peut marcher toute une vie et on n’en voit pas la fin.»


A part cela, Chère Claude, Francine Van Hove va bien et t'embrasse par la pensée en attendant d'avoir le plaisir de te voir rue Vieille-du-Temple.

127) Imaginer ?

Pour en revenir à cette réflexion de Renoir tout à fait essentielle pour comprendre sa peinture et l'Impressionnisme en général, ainsi que la peinture de Van Hove -qu’on ne peut cependant pas classer parmi les Impressionnistes: «... Il se méfiait de l’imagination. Il la considérait comme une forme de l’orgueil», je dois préciser que je n'ai jamais entendu Van Hove parler d'orgueil ou de vanité à propos de ses collègues privilégiant l'imagination, mais que je l'ai souvent entendu qualifier sa propre imagination de pauvre par comparaison à ce que lui offre le monde extérieur = à ce qu’elle voit à l’extérieur d’elle-même, dans la nature quand elle se promène à la campagne, ou dans son atelier quand elle s’y trouve avec ses modèles : jeune femme, coussins, lumière sur tous les accessoires, plancher, bols, écrans de télé, etc. Sachant que ses perceptions visuelles ne se limitent pas aux formes et aux couleurs des choses et qu'elles intègrent également leur texture, cela grâce au développement particulièrement poussé chez elle de ce sens hybride combinant le visuel et le tactile qu'on appelle en tout bonne logique terminologique le toucher visuel .
Au sujet de l’importance du sens du toucher en peinture, voici une citation de plus du livre de Jean Renoir sur son père bien-aimé Auguste:
«Le souvenir de cette pratique (consistant pour l’instituteur à frapper sans pitié de sa règle l’extrémité des doigts bien joints de l’élève dissipé) indignait Renoir. Non pas qu’il fût contre les châtiments corporels. Il les considérait comme moins pénibles et en tout cas moins avilissants que les raisonnements. Le maître qui réussit à convaincre un élève qu’il a eu tort de ne pas étudier sa leçon fait de la fausse démocratie (...) Si Renoir réprouvait les coups de règle sur le bout des doigts, c’est parce qu’ils risquaient d’abîmer les ongles. Souvent je reviendrai sur sa croyance dans l’importance des cinq sens. Le principal siège du sens du toucher est l’extrémité des doigts et l’une des fonctions des ongles est de préserver ce délicat centre nerveux. Quand j’étais enfant j’aimais me couper les ongles très court. Ainsi je risquais moins de me faire mal en grimpant aux arbres. Mon père me disait que j’avais tort : «Il faut te protéger le bout de tes doigts; en l’exposant tu risques de diminuer ton sens du toucher et de te priver de grands plaisirs dans la vie.»
Pour illustrer à la fois l’importance du toucher visuel dans la peinture de Van Hove et la plus grande richesse du monde extérieur à ses yeux, voici «Le Plongeon» :

(Un tableau que l’artiste a signé à 45° pour permettre de l’exposer aussi bien à l’horizontale ou à la verticale, au choix de l’heureux propriétaire.)


Dans ce tableau, regardons -touchons des yeux plus précisément- le couvre-lit sur lequel repose la jeune femme :


Non... La photo ne rend pas. Il faut voir le tableau. Aucune représentation photographique ne peut rivaliser avec un tableau de cette sorte, du moins pour un spectateur sachant voir avec ses yeux et tout le reste de son corps, possédant lui-même ce talent relativement rare.
Ce que je veux expliquer ici est que Van Hove perçoit les parties du monde extérieur sur lesquelles elle pose son regard de peintre comme infiniment plus riches que tout ce qu’elle pourrait imaginer. Plus riches et plus belles. En conséquence de quoi elle ne veut peindre que d’après modèles : modèles vivants et modèles pas vivants, ici, en l’occurrence, dans le cas «Plongeon», Marion allongée dans l’herbe, l’herbe de son jardin à Château-Landon, le couvre-lit de coton sur lequel repose Marion, le livre qu’elle lisait avant de s’endormir, etc. Parce qu’elle trouve cette herbe admirable de richesse et de beauté, et très belles Marion et la lumière du jour qui la baigne.
Ces peintres-là, Renoir et toute sa bande de copains Impressionnistes, et le Suédois Anders Zorn pour ne citer qu'un autre membre de la famille en plus de Van Hove, tous ces artistes ont en commun de peindre par admiration.