Une amie, qui est également une cliente, appelle au sujet de « Tchin Tchin ». Elle pourrait l’acheter, mais elle voudrait d’abord savoir ce qui se passe dans ce tableau. Elle ne voit pas bien.
Que fait cette fille à moitié couchée sur la table, à moitié endormie, peut-être, sauf qu’elle tient un verre de champagne plein et le tend vers un autre verre également plein, mais sans personne pour lui répondre ?
Toutes sortes d’explications de caractère anecdotique sont possibles, répond le peintre, qui n’a vraiment rien contre les anecdotes, bien au contraire comment on peut le constater dans le reste de sa production. Mais l’important ici est quand même ailleurs : dans l’arabesque du corps, dans l’attitude, et –très important- le sentiment général. L’attitude et le sentiment qui s’en dégage, le calme du visage se communiquant à tout le corps, un sentiment de vide et de plénitude qui se retrouve d’ailleurs dans le décor. Julia –c’est elle qui posait- n’est ni triste, ni gaie ; elle est là, comme le champagne dans sa coupe ; elle rêvasse.
mercredi 14 mai 2008
64) Scène vécue
Scène vécue chez Van Hove à la campagne :
Un de ses voisins vient rendre visite au peintre avec sa femme et sa fille. Il lui dit qu’il aimerait voir ce qu’elle fait. Elle lui donne à consulter un des livres déjà publiés sur son travail. Il le feuillette en la complimentant, puis le passe à sa femme et à sa fille, pour qu’elles voient à leur tour.
A un moment, FvH se retrouve seule avec la fille, qui fait aussi de la peinture, et qui lui explique alors que les « belles » femmes –geste de griffer deux paires de guillemets en l’air autour de l’adjectif-, c’est moins intéressant que les grosses femmes avec de beaux bourrelets partout, ou les vieilles quand elles sont très ridées, ou encore un beau noir avec une musculature impressionnante. Tout cela, les grosses, les vieilles et les noirs baraqués, c’est plus « fort ».
Un peu plus tard encore, le père, s’étant replongé dans le livre, s’exclame : « Mais il n’y a que des femmes ! Vous ne faites jamais d’hommes ? »
Combien de fois a-t-on déjà fait ces remarques à l’artiste : seulement des femmes…, seulement de jeunes et jolies femmes…, seulement des peaux claires... ?
Presque à chaque fois qu’on l’a interviewée sur sa peinture, en fait.
Je cite :« J’ai dit tout à l’heure que je choisissais comme modèles des femmes avec lesquelles je pouvais m’identifier a priori. C’est vrai, mais il entre en plus dans mon choix des considérations picturales qui me conduisent à préférer des types physiques bien différents du mien, en particulier des peaux claires présentant l’avantage de renvoyer la lumière au lieu de l’absorber, comme le font les peaux mates. »
“Ces deux questions reviennent souvent : pourquoi ne peindre que des femmes ? Et pourquoi seulement des blondes à peau claire ?
D’abord, je ne peins pas que des femmes. Je peins aussi des tables et des chaises, du pain, des livres […]
Par ailleurs, mes modèles ne sont pas tous blonds. Tous ont ce teint lumineux qu’on trouve plus souvent associé à des chevelures claires, c’est vrai.Mais j’ai eu des modèles bruns à peau ivoire, et une majorité de châtains, que je peins tels quels, ou transforme en blondes ou en rousses selon les besoins de l’harmonie générale du tableau. En peinture aussi, les cheveux se teignent facilement. Il n’y a pas que dans les salons de coiffure. Tandis que la peau, ça ne s’invente pas. […] Comment une peau pouvait-elle avoir de telles réactions à la lumière, être capable de la renvoyer au bond en transformant l’ombre elle-même en lumière ? Comment rendre cette impression de lumière semblant venir de l’intérieur ? »
“Que demandé-je à mes modèles ? D’avoir un certain type : jeune, d’une jeunesse printanière, avec une peau la plus claire possible, la plus sensible possible à la lumière. L’apparition du printemps dans le Grand Nord […]Je suis consciente, avec mes critères esthétiques, de contribuer à la survalorisation de la beauté et de la jeunesse dans une société foncièrement injuste à ce sujet, et je le regrette le plus souvent. Je n’ai plus vingt ans moi-même, depuis bien plus de vingt ans. Je suis d’accord, en partie du moins, avec ceux qui prétendent que les femmes peuvent rester belles en vieillissant : « les rides sur les visages des femmes, c’est de l’histoire, ce peut être de la tendresse, des histoires d’amour, etc. »
Il n’y a pas que les hommes qui ont le droit de vieillir en beauté.
Le problème est que la beauté des femmes est plus souvent celle des fleurs, tandis que celle des hommes : celle des arbres. Existe-t-il vraiment de belles vieilles fleurs, comme il existe de beaux vieux arbres ?
Mon problème personnel, par là-dessus, étant que la beauté féminine qui m’intéresse en peinture est, de toute façon, celle des fleurs […] »
« Mes femmes, mes modèles, jouent un rôle considérable dans ma peinture. Elles sont obligatoirement différentes de moi, qui pourrait maintenant être leur mère et suis née de toute façon brune à peau très mate […]Nous sommes entre nous et tenons absolument à le rester. Ce qui explique qu’il n’y ait pas d’hommes sur mes toiles, l’homme étant, pour moi, l’Autre, avec ce que cela a de fascinant mais aussi d’étranger, de complètement insaisissable et de nécessairement irréductible à notre condition féminine. »
“Une question qui vous est souvent posée : pourquoi des jeunes femmes et seulement des jeunes ? Pourquoi toujours des blondes ? Pourquoi des nus ?
Oui, c’est une question qui revient souvent. Ma réponse est : de jeunes femmes parce que la jeune femme est « le » thème par excellence dans la tradition de l’art occidental où je me suis volontairement enfermée. Pourquoi seulement des femmes jeunes et pas de femmes de mon âge, par exemple ? Parce que « la beauté de la jeunesse », tout simplement. Je sais, vous allez me dire que les visages ridés, c’est beau aussi. Je connais bien cet argument. Il nous est servi tous les jours par des gens légitimement préoccupés par le racisme jeuniste. Mais c’est ainsi, pour tout le monde : la beauté des femmes est celle des fleurs. […] On pourra considérer que les choses ont changé quand on cessera de comparer les femmes à des fleurs, qu’on cessera d’employer des expressions comme « la fleur de la jeunesse », ou « jeunes filles en fleur ». Quand on cessera de découper l’année en quatre saisons et d’avoir l’impression, à l’automne, d’une descente, de l’approche d’une mort, et au printemps, d’une renaissance au contraire. Quand on cessera d’assimiler l’hiver à la mort et de craindre la mort.
Si , j’ai répondu : parce que le nu feminine est le grand theme en art traditionnel, pour les hommes comme pour les femmes qui ont été formés à ce genre de peinture, ce qui est mon cas. Le nu féminin est mon vocabulaire de base.»
Un de ses voisins vient rendre visite au peintre avec sa femme et sa fille. Il lui dit qu’il aimerait voir ce qu’elle fait. Elle lui donne à consulter un des livres déjà publiés sur son travail. Il le feuillette en la complimentant, puis le passe à sa femme et à sa fille, pour qu’elles voient à leur tour.
A un moment, FvH se retrouve seule avec la fille, qui fait aussi de la peinture, et qui lui explique alors que les « belles » femmes –geste de griffer deux paires de guillemets en l’air autour de l’adjectif-, c’est moins intéressant que les grosses femmes avec de beaux bourrelets partout, ou les vieilles quand elles sont très ridées, ou encore un beau noir avec une musculature impressionnante. Tout cela, les grosses, les vieilles et les noirs baraqués, c’est plus « fort ».
Un peu plus tard encore, le père, s’étant replongé dans le livre, s’exclame : « Mais il n’y a que des femmes ! Vous ne faites jamais d’hommes ? »
Combien de fois a-t-on déjà fait ces remarques à l’artiste : seulement des femmes…, seulement de jeunes et jolies femmes…, seulement des peaux claires... ?
Presque à chaque fois qu’on l’a interviewée sur sa peinture, en fait.
Je cite :« J’ai dit tout à l’heure que je choisissais comme modèles des femmes avec lesquelles je pouvais m’identifier a priori. C’est vrai, mais il entre en plus dans mon choix des considérations picturales qui me conduisent à préférer des types physiques bien différents du mien, en particulier des peaux claires présentant l’avantage de renvoyer la lumière au lieu de l’absorber, comme le font les peaux mates. »
« As I said earlier, I choose women I can identify with on the whole. It’s true, but I have to consider pictorial factors in my choice, and this leads me to prefer physical types that are quite unlike mine. I particularly like to paint light-coloured skins on which the light reflects better, whereas matt complexions tend to absorb the light.” |
“Ces deux questions reviennent souvent : pourquoi ne peindre que des femmes ? Et pourquoi seulement des blondes à peau claire ?
D’abord, je ne peins pas que des femmes. Je peins aussi des tables et des chaises, du pain, des livres […]
Par ailleurs, mes modèles ne sont pas tous blonds. Tous ont ce teint lumineux qu’on trouve plus souvent associé à des chevelures claires, c’est vrai.Mais j’ai eu des modèles bruns à peau ivoire, et une majorité de châtains, que je peins tels quels, ou transforme en blondes ou en rousses selon les besoins de l’harmonie générale du tableau. En peinture aussi, les cheveux se teignent facilement. Il n’y a pas que dans les salons de coiffure. Tandis que la peau, ça ne s’invente pas. […] Comment une peau pouvait-elle avoir de telles réactions à la lumière, être capable de la renvoyer au bond en transformant l’ombre elle-même en lumière ? Comment rendre cette impression de lumière semblant venir de l’intérieur ? »
« I am frequently asked these two questions : Why do you paint only women ? Why only blondes with fair skin? First, I do not paint only women. I also paint tables and chairs, bread, books […]S Besides my female models aren’t all blond. It is true that they all have luminous complexions that are most often associated with light hair. But I have had dark-haired models with ivory skin and a majority of chestnut-haired models that I paint as they are, or transform into blondes or red-heads depending on the general harmony of the painting. In paintings hair can be easily dyed. It isn’t only done in hair salons. Skin however, can not be invented. […]S How could skin react so to light, be capable of bouncing it back and transforming shadow itself into light? How to render this impression of light seeming to come from within?” |
“Que demandé-je à mes modèles ? D’avoir un certain type : jeune, d’une jeunesse printanière, avec une peau la plus claire possible, la plus sensible possible à la lumière. L’apparition du printemps dans le Grand Nord […]Je suis consciente, avec mes critères esthétiques, de contribuer à la survalorisation de la beauté et de la jeunesse dans une société foncièrement injuste à ce sujet, et je le regrette le plus souvent. Je n’ai plus vingt ans moi-même, depuis bien plus de vingt ans. Je suis d’accord, en partie du moins, avec ceux qui prétendent que les femmes peuvent rester belles en vieillissant : « les rides sur les visages des femmes, c’est de l’histoire, ce peut être de la tendresse, des histoires d’amour, etc. »
Il n’y a pas que les hommes qui ont le droit de vieillir en beauté.
Le problème est que la beauté des femmes est plus souvent celle des fleurs, tandis que celle des hommes : celle des arbres. Existe-t-il vraiment de belles vieilles fleurs, comme il existe de beaux vieux arbres ?
Mon problème personnel, par là-dessus, étant que la beauté féminine qui m’intéresse en peinture est, de toute façon, celle des fleurs […] »
« Mes femmes, mes modèles, jouent un rôle considérable dans ma peinture. Elles sont obligatoirement différentes de moi, qui pourrait maintenant être leur mère et suis née de toute façon brune à peau très mate […]Nous sommes entre nous et tenons absolument à le rester. Ce qui explique qu’il n’y ait pas d’hommes sur mes toiles, l’homme étant, pour moi, l’Autre, avec ce que cela a de fascinant mais aussi d’étranger, de complètement insaisissable et de nécessairement irréductible à notre condition féminine. »
« My models play an important part in my painting. They are very different from me who could now be their mother and was born brunette with a mat complexion […] We are “entre-nous” and would like to keep it that way. This explains why there are no men in my paintings. Man is for me The Other, with all that is fascinating yet foreign, completely elusive and necessarily irreducible to our feminine condition.” |
“Une question qui vous est souvent posée : pourquoi des jeunes femmes et seulement des jeunes ? Pourquoi toujours des blondes ? Pourquoi des nus ?
Oui, c’est une question qui revient souvent. Ma réponse est : de jeunes femmes parce que la jeune femme est « le » thème par excellence dans la tradition de l’art occidental où je me suis volontairement enfermée. Pourquoi seulement des femmes jeunes et pas de femmes de mon âge, par exemple ? Parce que « la beauté de la jeunesse », tout simplement. Je sais, vous allez me dire que les visages ridés, c’est beau aussi. Je connais bien cet argument. Il nous est servi tous les jours par des gens légitimement préoccupés par le racisme jeuniste. Mais c’est ainsi, pour tout le monde : la beauté des femmes est celle des fleurs. […] On pourra considérer que les choses ont changé quand on cessera de comparer les femmes à des fleurs, qu’on cessera d’employer des expressions comme « la fleur de la jeunesse », ou « jeunes filles en fleur ». Quand on cessera de découper l’année en quatre saisons et d’avoir l’impression, à l’automne, d’une descente, de l’approche d’une mort, et au printemps, d’une renaissance au contraire. Quand on cessera d’assimiler l’hiver à la mort et de craindre la mort.
Si , j’ai répondu : parce que le nu feminine est le grand theme en art traditionnel, pour les hommes comme pour les femmes qui ont été formés à ce genre de peinture, ce qui est mon cas. Le nu féminin est mon vocabulaire de base.»
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