Chère Pascale, complément d'explication :
Dans le petit livre qui lui est consacré en 1986, Francine Van Hove dit, à propos de l’usage des modèles et de la photo en peinture (les deux questions se trouvant intimement liées) :
« J’ai toujours travaillé avec des modèles. Enfin, presque toujours. Avec mes frères et sœurs quand j’avais quinze ans. Et avec des modèles professionnels ensuite, pendant mes études pour le professorat de dessin.
J’ai quand même connu un moment presque sans modèles, après avoir démissionné de l’enseignement, quand je me suis retrouvée seule dans un petit studio, sans aucune envie de retourner travailler en atelier collectif, à la Grande Chaumière par exemple, comme du temps de mes études, ni de sacrifier une partie de l’intimité de mon chez-moi en y admettant une étrangère.
J’aurais aimé me passer de modèles, et ai d’ailleurs essayé de le faire en me débrouillant avec ma mémoire fraîchement nourrie de centaines d’heures d’études anatomiques, avec mon imagination et en me prenant moi-même comme modèle. Mais cela n’a pas suffi. Surtout lorsque j’ai été tentée d’augmenter le format de mes personnages. Aussi bien en ce qui concerne les lignes et les volumes que les couleurs, la richesse d’information nécessaire en peinture figurative –telle que je conçois cette sorte de peinture du moins- impose la pratique du modèle vivant.
Aurais-je pu m’en sortir avec des photos ? L’idée ne m’est même pas venue d’essayer. J’appartiens à une tradition qui exclut la photo. Jamais dans les écoles que j’ai faites, il n’a été question d’utiliser la photo. Et puis, prendre des photos, aller les faire développer, les projeter, etc., tout cela aurait représenté pour moi une complication inutile : il me semblait tellement plus facile de me débrouiller avec un crayon ou un pinceau (seulement un, même pas deux) et quelques couleurs. Je sais que beaucoup de gens sortent de mes expositions avec l’impression –ou la certitude- que je travaille d’après photo. La vérité, à la fois beaucoup plus simple et compliquée, est que je travaille uniquement « sur le motif » ; dans la nature quand je fais un paysage, devant l’objet quand c’est une tasse de café que je dois peindre, et uniquement avec modèles vivants pour le dessin de personnages.
Il m’arrive de me servir de photos, ou plus exactement de polaroïds –la seule sorte de photos qui convienne à mon extrême paresse mécanique-, mais seulement pour enregistrer la disposition des éléments d’un décor que je ne peux conserver tel quel dans mon appartement, et que je dois pouvoir rétablir exactement, jusqu’aux plis des tissus, quelques jours plus tard pour une nouvelle séance, ou pour enregistrer une attitude de modèle que je sais impossible à garder plus de dix minutes et de toute façon difficile à se remémorer pour la jeune fille, une attitude que je dois d’ailleurs peindre par morceaux,comme pour « La Philosophe » par exemple : d’abord le bras levé, puis la tête renversée, puis les jambes croisées, etc.
A part cela, pas de photo, mais du contact direct, du rapport vivant. Parce qu’encore une fois, il n’y a aucune comparaison entre un modèle vivant et une photo sous l’angle de la richesse d’information. D’abord parce que le modèle est vivant, justement, avec sa personnalité. Physiquement vivant. Les lignes d’un modèle, même censé poser dans la plus grande immobilité, bougent sans arrêt, du fait du modèle, mais aussi de celui du peintre qui cherche à comprendre comment telle ligne se raccorde à telle autre dans l’espace, comment c’est derrière, comment ça s’emmanche, là, l’épaule et le bras, en multipliant ses points de vue. Une attitude sur la toile est toujours le résultat de la synthèse dynamique d’une quantité astronomique de positions légèrement variées. Le problème de la photo est qu’elle est tout simplement figée, et qu’elle ne donne jamais qu’une position, et opère l’obligatoire réduction des trois dimensions de la réalité aux deux dimensions de la toile sans compensation mentale en quelque sorte. Un avantage décisif d’un bon dessin d’après modèle vivant est qu’il contient plein de « savoir » sur l’espace et le volume. En ce qui concerne la couleur par ailleurs, l’appauvrissement de la photo est double, du fait de son caractère figé et de la nature chimique du support. Comment pourrait-on hésiter ?"
Chère Pascale (bis), voici maintenant la même chose en anglais pour ton ami Robert, qui a, lui aussi, posé la question des rapports entre peinture et photographie chez Van Hove, et qui ne parle pas encore français :
mardi 18 mars 2008
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